Fragile

Publié le par Chatfleuri

Par où commencer ?

Par vous dire que je vous ment ? Par vous avouer ma solitude affective mordante ? Par vous dire que je ne sais plus où j'en suis ?

Je ne sais pas trop, mais c'est vrai que je suis perdue. Depuis bien plus longtemps que vous vous imaginez. Dans ma poitrine, c'est la tempête du vide. Dans ma tête, le maelström des pensées. Dans mon corps, une lassitude grandissante, un point de rupture que je ne cesse de frôler. Et quand je m'en écarte, c'est toujours avec la crainte d'y revenir, et de passer ce point pour de bon.

Oui, pour une fois, c'est bien de moi que je vais parler, pas des autres. Pas de vous. J'en ai ras-le-bol de parler de vous. J'en ai marre de m'effacer pour vous, même si je donne l'impression d'être sur le devant de la scène. La « guerrière », comme certains m'ont surnommée, n'en peut plus. Je n'ai jamais été une guerrière. On m'a dit aussi que je faisais sentir les autres en vie, mais pendant ce temps, je me meurs à petit feu. Je me consume sans que l'on s'en aperçoive.

Et soudain, on se pose la question : « Tiens ? Qu'est-ce qui lui arrive ? ». On pense à une passade, à un pétage de plomb temporaire, et puis hop, on retourne à ses petites affaires. Vous retournez à vos petites affaires, vos petites misères quotidiennes. Et je n'existe déjà plus.

Alors que je suis toujours là.

Je m'enquiers de vous. Je m'inquiète de vous. Je me réjouis pour vous, vous parle, vous rassure, vous aide aussi. Et j'ai le tort de ne rien demander, de refuser la gratitude. Je ne me sens pas capable de recevoir cette gratitude : votre bonheur vous appartiens.

Aujourd'hui, je ne demande toujours rien. J'ai juste besoin de parler. Mais vu que je n'aime pas emmerder les autres avec mes soucis, je ne parle jamais. Ou alors de manière superficielle. Pour pas pleurer devant vous. Pour pas vous gêner. Pleurer, je le fais bien plus souvent que vous pouvez l'imaginer, chez moi. Mes kleenex peuvent témoigner. Et puis je ne sais pas parler. Si ce que j'écris vous gêne, arrêtez cette lecture, passez votre chemin et retournez à votre quotidien. Je ne vous en voudrai pas, j'ai l'habitude.

Mais oui, je vous ment. Toujours, tous les jours.

J'ai un boulot qui me plaît, une famille qui a fini par m'accepter, des amis, deux enfants que tout le monde s'accorde à trouver mignons et qui adorent venir chez moi, leur père, et une ex-femme qui accepte aussi ma différence, qui a su s'y faire et avec qui j'ai des relations cordiales, sans réel conflit. Je devrais donc dire : « Je suis heureuse ! J'ai de la chance ! Tout se passe bien pour moi, j'ai pas, mais alors vraiment pas à me plaindre !!! » Au final, c'est ce que je vous dit. Par confort.

Ce que je ne vous dit pas, c'est que non, je ne suis pas heureuse. Je ne l'ai jamais vraiment été. Ou alors, c'était l'illusion du bonheur. Je ne me suis jamais sentie à ma place, nulle part. Toujours à côté de la plaque, de ce qui est attendu, toujours arrivée après la bataille, après les grandes heures que l'on me raconte, qui viennent juste de passer, mais que je ne pourrai jamais vivre puisque elles ne reviendront plus. À moi d'en créer d'autres, de ces grandes heures ! Non, je n'en ai pas les épaules. Je suis fatiguée de ces presque, ces à-peu-près, ces loupés que me réserve la vie. Je suis fatiguée, et ma jeunesse est déjà passée.

Ce que je ne vous dit pas, c'est tous ces pincements au cœur lorsque je vous voit vous donner la main, vous regarder, vous embrasser. C'est cette jalousie qui me ronge lorsque je vous voit aimer, passer d'un flirt à l'autre, aimer encore, et vous imaginer dormir ensemble dans le même lit, ne serait-ce qu'une nuit. Moi, je n'ose même pas toucher qui que ce soit. À voir certains et certaines qui ont la caresse facile, l'appui facile sans honte, sans crainte, je ne sais comment vous faites. Je n'ose à peine vous toucher tellement j'ai envie de vous caresser, de vous étreindre. Je n'ose à peine vous embrasser tellement j'ai envie de vous baiser langoureusement la bouche. Je n'ose à peine vous regarder plus bas que le visage tellement j'ai envie de vous déshabiller des yeux, tellement j'ai envie de vous déshabiller et de vous aimer.

Ça me manque tellement de ne pas aimer, de ne pas faire l'amour, de ne pas me blottir dans les bras ou de ne pas vous sentir vous blottir dans mes bras. Ça me manque tellement de ne plus sentir le contact de votre peau sur la mienne. Ce vide physique est un vide sentimental, un vide dévorant qui envahit mes pensées... Si vous saviez à quel point je me bats pour ne pas penser à ce vide ! Si vous saviez combien de fois j'échoue dans ce combat ! Mais non, vous ne savez pas. De toute manière, vous vous en foutez. Et je vous donne raison, vous ne pouvez rien y faire. J'ai juste besoin de vous le dire. Vous, oui, je dis vous : pas de distinction de genre, de sexe. J'ai envie d'aimer quelque personne que vous soyez, et d'être aimée...

Et en même temps, je crains cet amour que je désire tant. Je crains qu'il ne m'étouffe. Je sais qu'il m'étouffera aussi sûrement que son manque... Éternellement insatisfaite, je ne sais pas ce que je veux. Je pense juste le savoir, mais en fait, je ne sais pas ce que je veux. Alors oui, je pense aussi que je me refuse ce que je pourrai avoir.

J'ai déjà tellement mal que je n'ai pas envie d'avoir encore plus mal. Vous pouvez le comprendre ?

Je l'espère, car je ne pourrai vous le dire mieux. Avec le temps, je suis devenue fragile. Je l'était déjà avant, je le suis encore plus. J'ai tout donné ce que j'étais pour les autres, pour leur bonheur. Même si ce ne semble être que des mots. Mais en fait, j'ai aussi donné mes émotions, mon énergie, ma vie. J'ai fait fi de mes douleurs pour vous aider à surmonter les autres. Je n'en peux plus. Mais je sais que je continuerai encore. Je ne sais pas faire autrement. Ou je ne sais plus faire autrement. Je n'ai pas envie de penser à moi. Je veux m'oublier. Le seul moyen que je connaisse, c'est vous. Vous êtes ma blessure et mon antidote.

Si je dois penser à moi, alors, c'est fichu. Oui, je vous donne tout, mais je ne demande jamais. Je ne sais pas demander. Et je ne peux pas demander l'impossible. L'amitié a déjà essayé, elle ne suffit pas. Mais je sais que je ne peux penser à moi toute seule. Je ne peux pas. Alors si je dois un jour penser à moi, c'est que c'est fichu : le point de rupture, le point de non-retour sera passé. Je l'ai déjà frôlé, je sais à quoi il ressemble. Et pour une fois, oui, je penserai à moi et je serai égoïste. Pour de bon.

Mais ce n'est pas encore le moment. Je veux bien encore espérer. J'ai encore quelques forces à gaspiller à espérer. Plus beaucoup.

Encore un espoir, le dernier.

Je suis devenue trop fragile.

Publié dans Réflexions

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