Exorcisme

Publié le par Chatfleuri

Il fait soleil ce matin là. La pièce est blanche, décoration discrète, deux tables basses avec des pierres et cristaux dessus. Deux chaises, et un matelas au sol. Couverture et serviettes. Simple, fonctionnel, rassurant.

Je suis là parce que je sens que j'en ai besoin.

Elle m'accueille, m'invite à m'asseoir, et à dire pourquoi je suis là. On ferme les yeux. Méditation pour commencer, pour se concentrer. Visualiser l'étoile rouge rubis sous les pieds, des liens qui me lient à la Terre-Mère, et cette lumière tournoyante qui sors des profondeurs pour m'envelopper. Ça, je sais faire. Visualiser, j'ai toujours su faire. Peut-être trop bien. De toute manière, l'effet est là : je me sens un poil apaisée, détendue, prête.

Puis elle viens, me fais mettre debout et poses ses mains sans prévenir. Une sur le dos, une sur le ventre. Elle remonte jusque la gorge, puis redescends jusqu'au ventre, remonte encore et redescends. Vite. Si vite que je suis surprise. Je pensais que ce serais plus lent.

« -Vous sentez quelque chose de particulier ?

  • Oui, là, au niveau du cœur. Comme si ça voulait sortir.

  • C'est bien ce que je sentais. On va dégager ça. Asseyez-vous »

Oui, « ça ». Paraît que c'est ancien, plus vieux que ma vie actuelle, que ça m'encombre. Ça s'accroche à moi, comme une sangsue. Ça n'est pas seul apparemment, profondément enraciné en moi. Ça se nourrit de moi, surtout quand je vais pas bien. J'ai dû leur offrir de véritables festins alors, ces derniers temps... Et puis ça bloque tout, ça empêche tout, de quoi enrichir leur alimentation de mauvaises ondes... Fini les festins à répétition ! Oui, faut dégager « ça » ! Faut que ça dégage.

De nouveau assise, elle commence. Respiration, par le ventre, les mains se baladent, appuient parfois, et là, d'un coup, sans prévenir, je sens s'affaisser au niveau de mon cœur, là où j'avais l'impression qu'il voulait sortir de ma cage thoracique, implosion. Pas le cœur lui-même, mais la sensation de sa présence. Et je n'arrive pas empêcher les sanglots de monter, brutalement, sans prévenir.

On se calme. Ça ne fait que commencer.

Suite du programme, je me déshabille, vais m'allonger sous la couverture, sur le dos. Je me calme pendant qu'elle va se laver les mains.

Massage rapide mais efficace, à l'huile de cèdre, et je ressens la crise de larmes qui revient, radicale, sans raison, spontanée. Forte, violente. Ça fait mal. Les poumons en feu, le corps glacé, heureusement que je suis sous la couverture. J'ai froid, j'ai chaud, et cette poitrine oppressée et vide en même temps. Et ses mains sèches qui appuient, pincent, massent, se déplacent. Et sa voix qui sort, une voix de poitrine, profonde, presque gutturale, juste sa voix, pas de mots.

Puis le calme d'un coup. La lucidité, même. Je vois ce minuscule éclat de peinture au plafond, le grain de poussière qui vole dans le rayon de soleil. Il fait beau dehors... Je vois son visage à elle, et ses yeux, et son visage à elle, et son sourire. Je les vois disparaître, s'évaporer. Non ! T'en vas pas, t'en vas pas, t'en vas pas... Une litanie que je n'arrive pas maîtriser. T'en vas pas, non, t'en vas pas...

Je ne contrôle plus rien. Je me rends compte que je frappe le matelas du poing, comme de rage, comme le nourrisson qui braille sa colère. Depuis combien de temps que je tape ainsi du poing ? Je n'arrive plus ouvrir les yeux, comme une part d'oubli qui s'invite.

On change de position. Je suis sur le ventre. Je pensais avoir fait le plus dur. Je pensais.

Je n'ai plus cette sensation douloureuse de vide et d'excès au niveau du cœur. Tant mieux. Mais c'est juste remonté. Juste au dessus des poumons, prête à m'étouffer, une boule. Une sphère dure, concrétion de tension coincée là, juste en haut des poumons, à la jonction des bronches. Je panique. Qu'est-ce que ça fout là ? Faut sortir ça ! Faut sortir ça ! Envie de vomir. Je comprends soudain pourquoi les serviettes. Envie de vomir. J'éructe, je gémis, j'éructe encore. Ça veut pas venir ! Merde, merde, c'est quoi ça ! Faut que ça sorte !!! Je gueule, j'espère que l'appartement est insonorisé... Comment je peux penser à ça, à un moment comme ça, là ? Je gueule, et soudain, je sens que ça sort, et je vomis cette sensation de boule, une boule de colère, de haine. De haine pure. Pas de bile, pas de petit-déjeuner qui sort, non, juste cette haine. Et je pleure, de soulagement, de colère et de je ne sais quoi. Je chiale, je bave, la morve me bouche le nez, je dois vraiment pas être présentable, mais je m'en fiche, je dégueule cette boule de haine de moi, hors de moi. Je suis cambrée, les poings crispés, les ongles enfoncés dans les paumes. Puis je relâche tout, d'un coup. Épuisement. Et puis putain, elle revient encore, cette boule. Une autre, toute aussi douloureuse, toute aussi intense, toute aussi haineuse, qui veut pas venir non plus. J'ai pas la force de gueuler encore, j'ai pas la force de l'expulser encore, de la vomir encore, pourtant, il faudra bien ou je vais crever !

Depuis combien de temps que je gémis ? Je sens ma voix. Elle est là, je n'ai pas eu conscience d'avoir commencer à donner de la voix, et je ne la reconnais pas, d'ailleurs. Mais c'est bien ma voix, la vibration est bien mienne, basse, douce, mais pas au niveau de la gorge. Plus bas, en dessous, dans la poitrine si on peut dire comme cela. Et je la visualise : un hameçon, ou plutôt, une bande de papier, enduit de glu, comme ceux avec lesquels on essayais de piéger les moineaux, gamins. Je pars à la pêche de cette boule au creux de mes bronches. Là ! Oui ! Et je tire, je pousse, je m'accroche au matelas, à l'oreiller. Putain que ça fait mal ! Putain que ça fait mal ! J'en chiale, et je dégueule de nouveau cette boule de haine. Je sais plus où je suis, juste concentrée à vomir ça, à l'expulser, encore et encore.

Calme, larmes, lucide, engourdie, je ne contrôle plus rien, je ne sens plus rien, juste la tempête. Et moi au milieu. Mon corps au milieu.

C'est mon corps ! MON corps.

C'EST MON CORPS !!!!!!

Je ne sais même plus si je l'ai dit, gueulé, ou si c'est resté dans mon esprit. Je ne sais plus. C'est si irréel.

Puis sur le côté. Étirements, massages, torsions, une main sur la poitrine, une sur le dos. Je suis crispée.

« -Tu as mal ? »

Je saisis sa main qui remontais vers la gorge. Je la saisis peut-être un peu fort et la place directement là ou c'est réapparu.

« -Là, au sternum. Putain, elle fait mal celle-là ! »

Je gueule de nouveau, je hoquette, j'éructe. Il y a urgence. Elle a sorti les pointes cette garce de sphère de haine. Une poire d'angoisse, celle-là. Elle me transperce, s'accroche, près du cœur, plus bas que les autres. Je sens les mains qui viennent à mon aide, elles appuient, elles pressent. Et là, de nouveau, je dégueule cette haine, cette colère. Ça fait mal. J'ai mal. Pas que là où ça passe, mais les côtes aussi, le ventre, jambes, bras, tête... partout.

Et puis d'un coup, le vide. Rien. Plus rien. Sérénité.

Retour sur le dos, massage doux. C'est fini.

Je ris. C'est douloureux aussi. Je crois que je savais pas rire avant. Enfin, pas comme ça. Puis ça ce calme aussi. Tout doucement.

Je me redresse doucement. Serrant la couverture sur ma poitrine. Elle m'en met une autre sur le dos. Je reste là, silencieuse, épuisée, allégée, la tête qui tourne, presque l'esprit hors de la boîte crânienne. C'est fini. Enfin. Une nouvelle vie va enfin commencer.

J'étais le Diable, je suis toujours le Diable. Je l'ai comprise. Je viens de vivre la Maison-Dieu. Violemment. Une violence nécessaire. Ça ne pouvait pas être autrement. Maintenant, je peux enfin aborder l'Étoile.

« Merci »

Commenter cet article